S'il y avait bien une chose que vous ne vouliez surtout pas quand vous sortiez de prison, c'était bien d'y retourner ! Et notamment lorsque votre séjour là-bas vous avait rendu dans le même état que Jaz. Il n'était plus qu'une larve. Dénué d'émotions, excepté la colère, il n'avançait plus. Il stagnait, tournait en rond et entrainait les gens qu'il aimait dans son malheur et sa déchéance. Il embrouillait les esprits, et le sien en premier. Il avait fait du mal partout autour de lui. Comment vouliez-vous vous supporter dans pareilles conditions ? Vous avez fait de la prison pour avoir battu presque à mort un homme que vous saviez moins fort que vous. Vous avez brusqué la femme qui vous aimait. Vous avez frappé une amie proche. Puis une autre, après avoir couché avec alors qu'elle n'était autre que la petite amie de celui que vous considériez comme un frère. Sans parler des innombrables vérités qui avaient éclaté au grand jour. Le viol de Meredith, l'avortement, sa coucherie avec sa cousine qui avait donc forcément engendré tromperie vis-à-vis d'Emy. Sans parler de son interminable histoire Emy-Jaz-Stacey. Une histoire prise de tête, ambigüe et compliquée à un point inimaginable. Emy en souffrait terriblement. Ce n'était pas mieux pour Jaz qui était complètement tiraillé. Quant à Stacey, il avait du mal à savoir ce qu'elle ressentait elle au milieu de tout ça. Excepté l'agacement, ça, il s'en doutait sans peine. Enfin bref. La vie de Jaz partait à la dérive et il assistait à sa chute sans pouvoir intervenir. Il attendait l'impact, le coup de grâce. Et il n'imaginait pas que cet instant arriverait bien plus vite qu'il ne l'avait pensé. Il n'imaginait pas non plus que cela arriverait ainsi.
Pourtant, ça arriva.
Il était chez lui, il n'était pas allé en cours ce jour-là parce qu'il avait finalement réussit à s'endormir. Et il ne voulait certainement pas se priver de ça, pour une fois ! Allongé sur son lit, comme une merde, encore habillé, même pas dans ses draps, il dormait. Il ne savait pas que cette vipère de Queen avait frappé encore. Et qu'à nouveau, elle allait chambouler une vie bien plus qu'elle n'aurait pu s'en douter. Il ne fallait jamais jouer avec la fragilité des gens, on ne savait jamais comment ils pouvaient réagir ! Jamais. Et Jaz en était la preuve. Alors qu'il dormait chez lui donc, il fut tiré d'un profond sommeil par des coups sévères sur sa porte et une voix forte, autoritaire et imposante qui hurlait à travers la cloison pour attirer son attention :
« POLICE ! OUVREZ ! » Hein ? Le cœur de Jaz bondit dans sa poitrine alors qu'il revenait brusquement à la réalité. Il blêmit aussitôt et se leva de son lit, son palpitant sur le point de lui arracher la poitrine. La police ? Non ! Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il se passait ? Il n'avait rien fait pourtant ! N'est-ce pas ? C'était pour le shit c'est ça ? Il ne voyait que ça ! Quoi d'autre ? Le cœur battant, la gorge sèche et l'estomac noué il sortit en trombe de sa chambre et courut jusque dans son salon pour s'emparer de tous les cadavres de joints et de ses boulettes, cherchant désespérément un endroit pour y cacher. Mais à quoi bon ? Ils trouveraient forcément. Il se mordit la lèvre inférieure et se passa une main sur le visage, en panique totale alors qu'à la porte, les coups et les cris ne s'arrêtaient pas. Il finit par balancer le tout par sa fenêtre, sans réfléchir, trop enclin à un stress angoissant. Puis il voulut se laver les mains pour camoufler l'odeur, mais il ne tenait plus. Les coups contre la porte le faisait sursauter à chaque fois, il fallait que cela cesse ! Il s'avança donc vers la porte et tout doucement, complètement livide et tendu il ouvrit la porte. La suite s'enchaina à toute allure. Arrestation, inquiétude, peur, voiture de police, accusation, brusqueries, commissariat, cellule, attente, solitude, peur, et finalement interrogatoire. Jamais Jaz n'avait connu une telle chose. Il s'était pourtant fait arrêter deux fois ! Mais jusque là, aucun policier n'avait été aussi violent à son égard. Les autres ne lui avaient guère porté d'affection, mais ils avaient tous exécuté leur travail dans le respect des lois. Là, c'était à se demander si l'on vivait encore en république ! Regard mauvais, attitudes menaçantes, paroles agressives. Le but était plus qu'évident : on voulait le faire avouer. Mais lorsque Jaz avait comprit de quoi il s'agissait... Il avait eu l'impression de sombrer totalement. Meredith. Viol. Fin du monde. Faible, fatigué, effrayé, Jaz gardait les yeux baissés et niait. Que pouvait-il faire d'autre ? Avouer ? Et retourner en prison ? NON ! Jamais. Jamais, jamais, JAMAIS ! Meredith n'avait pas été interrogée encore, elle était visiblement la prochaine sur la liste. Et Jaz n'avait plus qu'à prier pour qu'elle ne le balance pas. Les policiers n'avaient pas voulu lui dire qui l'avait dénoncé. Mais la réponse semblait évidente. Qui le haïssait à mort pour ça ? Kevin. Mais pourquoi maintenant seulement ? Jaz ne comprenait pas. De toute façon, à cet instant, il ne comprenait rien.
Soumis, silencieux, il se contentait de hocher la tête en guise de réponse. Jusqu'à ce que la première baffe ne vole. Jaz sursauta et dans une réaction de défense il se leva immédiatement de sa chaise, prêt à riposter. Voilà qui n'allait pas arranger son cas. Saisit par les épaules, on le fit rassoir violemment. Les policiers dans la pièce s'impatientaient, montaient en pression. Quelques insultes commencèrent alors à pleuvoir. Des menaces. Des mises-en-garde. Des humiliations psychologiques. Fragile, Jaz fronçait les sourcils et tentait de faire abstraction de tout ça, se concentrant pour ne pas craquer et ne rien avouer. Surtout pas ! Il se mura alors dans un silence de marbre, ce qui déplut à ses interlocuteurs. BAM, un poing sur la joue droite. Jaz échappa un cri de douleur et se leva brusquement de sa chaise, cherchant cette fois-ci à s'éloigner. Il fut réinstallé de force. Après deux heures de garde à vue à mourir d'angoisse, il connu l'heure la plus longue de sa vie, coincé entre ces 4 murs, interrogé par deux flics visiblement remontés contre lui. "Les mecs comme toi" disaient-ils. Et ces quelques mots raisonnaient dans l'esprit de Jaz. Les mecs comme lui ? Qu'est-ce que c'était les mecs comme lui ? Des violeurs ? Des agresseurs ? Des gens dangereux ? Des menteurs ? Des manipulateurs ? Tout ça à la fois sûrement. Au fond, il avait bien conscience qu'il n'avait pas le droit d'imposer "un mec comme lui" à la société. Il n'était qu'une plaie. Un fardeau que l'on redoutait plus que tout. On le craignait, non pas parce qu'il en imposait. Mais parce qu'il n'était pas un mec fréquentable. Pas un mec bien. Pas un mec normal. Il n'était qu'un boulet, une erreur. Il l'avait bien compris depuis longtemps. Ses parents biologique ? Ils l'avaient abandonnés. Ses parents adoptifs ? La même chose. Qu'est-ce qu'il était alors, hein ? Qui était-il bon sang ? Rien, personne. Juste une erreur, une bavure. Et Jaz réalisait lentement qu'il ne voulait plus de tout ça. Il ne voulait plus faire de mal autour de lui. Mais surtout il ne voulait plus être "rien". Il ne voulait plus ressentir ce vide douloureux dans sa poitrine, ni ce goût amer du dégoût de soi dans sa gorge. Il ne voulait plus voir son visage dans ces miroirs qui lui renvoyaient la réalité en pleine figure chaque jour et qui semblaient lui répéter : va-t-en, va-t-en. Tu n'apportes que du mal autour de toi ! Va-t-en. Alors, qu'à cela ne tienne... Il s'en irait. Il y avait déjà songé, mais il n'avait même pas trouvé ce courage-là. Égoïste jusque dans sa fin, il avait préféré continuer à imposer la paria qu'il était aux autres. Il était temps que tout ceci s'arrête. Pour de bon.
Accusant les coups en silence finalement, comme une punition bien méritée, il oubliait. Il oubliait la douleur, la crispation à chaque coups de poing. Il ne faisait qu'écouter. Écouter les reproches, les accusations. Ces mots si durs qui détruisait lentement chaque petite parcelle restante de sa personnalité. Jusqu'au néant. Le vide, le rien. C'était exactement ça, il était vidé de tout. Après donc une heure, Jaz n'avait rien avoué du tout. Il n'avait rien dit du tout, tout simplement. Il avait juste écouté. Et attendu que cela s'arrête. On lui nettoya ses plaies, afin de ne pas trop attirer l'attention et finalement, on le relâcha discrètement, lui disant qu'ils n'en resteraient pas là, et qu'il devait pas quitter la ville en attendant. Non, ce n'était pas la ville qu'il allait quitter. C'était beaucoup plus que ça. Il se traina jusqu'à chez lui, faible, meurtris, abimé, épuisé. Sa vie n'était qu'échec et souffrance. Il rêvait d'autre chose. Mais surtout, il rêvait de la fin de cette vie actuelle. Elle ne lui convenait plus, ne lui plaisait plus. Il aurait voulu tout reprendre à zéro. Mais il ne pouvait pas. Alors, une fois arrivé en bas de son immeuble, il marcha sur la pelouse, à la recherche des joints jetés par la fenêtre plus tôt dans la journée. Il récupéra le tout et s'éclipsa. Marchant d'un pas lent mais déterminé malgré tout. Les premières larmes glissant entre ses blessures. Il était calme. Anormalement calme. Ses larmes coulaient sans un bruit et venaient mourir sur son sweat bleu foncé. Il n'éprouvait plus de colère. Il n'éprouvait plus rien. Il se contentait juste d'avancer, devinant la limite du trottoir à travers le flou de ses larmes, nullement perturbé. Après une trentaine de minutes, il arriva au pont d'Atlanta et s'y engagea sans la moindre hésitation. Puis, en plein milieu, il s'y installa, ses jambes pendant dans le vide. Là, il roula ses joints et se mit à fumer, paisible, tranquille, serein presque. Noyé dans ses larmes, il fumait, il attendait. Quoi ? Il n'aurait pas su dire. Juste, il attendait. Le bon moment peut-être ? Sûrement. Ce fut seulement 6 joints plus tard, alors que son esprit divaguait qu'il se bougea. Tout en grimpant tant bien que mal sur la rambarde, il pensait. A ses vrais parents, qu'il ne connaîtrait jamais. A ses parents adoptifs, qui l'avaient rejetés sans culpabiliser. A Théo, son frère adoptif, qu'il s'en allait rejoindre. A Enzo, évidemment. Un frère de cœur. Une moitié. Une raison de vivre. A Beverly, à ce qu'ils avaient vécus ensemble et à tout le bonheur qu'elle lui avait apporté. A Lillian, à son éternelle présence à ses côtés et au fait qu'il ne pourrait plus veiller sur elle. A Arizona, qui malgré tous les soucis qu'elle lui avait occasionné restait une personne chère à son cœur. A Dustin et Steven, parce qu'ils n'avaient jamais douté de qui il était vraiment. A Mika, parce que c'était la personne la plus honnête dans ses relations qu'il n'ait jamais connu. A Meredith, pour ce qu'il lui avait imposé. A Andrew, pour ce qu'il lui avait fait et pour le service qu'il lui rendrait sûrement. A Kevin, qui verrait sûrement ses envies de justice assouvie. Puis à Emy. Pour tout ce qu'ils avaient vécu et tout le mal qu'il lui avait fait. Et enfin à Stacey. Pour tout ce qu'ils ne vivraient jamais, et pour toute la douleur qu'il lui épargnait en accomplissant ce geste. Le vent vint fouetter son visage alors qu'il fermait les yeux, paisible, toujours en larmes. Il n'entendait pas les cris au loin de la voix masculine. Il n'entendait rien, il ne voyait rien, il ne ressentait rien, excepté une sensation de repos, tellement apaisante. Et il bascula, sans crainte, sans hésitation. C'était la libération.
C'est un beau jour pour mourir.
Et ce fut le noir complet.
« AU SECOURS !! QUELQU'UN M'ENTEND ??? » Un vieux monsieur, âgé d'environs 70 ans accourut, alerté par les cris de Kevin. Découvrant le bien triste spectacle, il sortit son combiné de sa poche et appela les urgences, la voix tremblante, inquiet, apeuré par le corps inerte de Jaz. Huit minutes plus tard, les sirènes retentissaient déjà au bout de la route, se rapprochant à toute allure. L'ambulance se gara sur la berge et aussitôt les médecins en sortirent, se précipitant sur Jaz pour évaluer la situation. Ils firent reculer Kevin et commencèrent un massage cardiaque le temps d'amener le matériel pour prendre le relais. Aucune réponse. Pendant que la troupe s'attardait à tenter de redonner vie à Jaz, un des médecins s'approcha de Kevin, afin de le rassurer, de le calmer et lui demander ce qu'il c'était passé, s'il connaissait Jaz ou non. Un autre fit de même avec le vieux monsieur, qui expliqua qu'il n'était arrivé qu'après, ayant entendu les cris de Kevin. Ils finirent par installer Jaz sur un brancard et le firent monter à l'arrière du véhicule. Le médecin qui parlait avec Kevin expliqua rapidement, entrainant le jeune homme à l'arrière également :
« Il faut que vous veniez avec nous. Une fois sur place, on récupérera votre identité, celle du jeune homme, et vous nous indiquerez qui contacter pour avertir de ce qu'il se passe. » Les portes se refermèrent et la voiture démarra en trombe, filant vers l'hôpital d'Atlanta. Quand soudain, après un énième choc un des médecins s'écria :
« Ça y est ! Le cœur est repartit ! » Lui branchant alors de l'oxygène et différents tuyaux dans les bras, les médecins s'affairaient. Car si le cœur était repartit, Jaz n'avait toujours pas reprit conscience. Ils arrivèrent alors à l'hôpital et les urgences récupérèrent le brancard, emmenant Jaz en soins intensifs, tandis qu'un des médecins attira Kevin avec lui, afin de parler plus calmement et de récupérer tout ce qu'il voulait savoir. Ce ne fut qu'une bonne heure plus tard qu'un médecin vint dans la salle d'attente où se trouvait Kevin et s'approcha de lui pour déclarer :
« Il a reprit conscience, mais il est très faible et est incapable de parler. Vous voulez le voir ? » En effet, Jaz avait les yeux ouvert, un masque à oxygène l'aidait à respirer, il était pansé à plusieurs endroits et avait de nouveaux tuyaux dans les bras. Dans les vapes, il ne savait même pas où il se trouvait, ni même qui il était. Pâle, froid au touché, le regard éteint, difficile de dire qu'une âme habitait encore ce corps meurtris...